Selon celui qui écrit un peu: Une maison d’édition, c’est un aimant. (version intégrale)

13 mars 2025
Publication - Texte intégral
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En 2024, les Éditions du Blé ont célébré un jalon marquant: 50 ans d’édition et de création littéraire. Pour souligner cet anniversaire, un cahier spécial, 50 ans en évolution, a été publié en septembre 2024 dans La Liberté. Certaines contributions ont dû être écourtées pour s’adapter au format imprimé. Ce texte est présenté ici dans sa version intégrale. Bonne lecture!

Version publiée en septembre 2024

 

En l’écoutant raconter les premières années de sa vie manitobaine, on se croirait dans un roman. Pourtant Charles Leblanc est poète, le premier publié dans la collection Rouge des Éditions du Blé, devenu depuis l’un des importants poètes contemporains de la francophonie canadienne.

On est installés chez lui, à Saint-Boniface. Les politesses habituelles de début ne sont pas finies qu’il explique tout simplement pourquoi il a accepté d’être interviewé: «Je suis très redevable aux Éditions du Blé pour mon existence d’écrivain.»

Il arrive au Manitoba début octobre 1978 et il y est resté. Membre du Parti communiste ouvrier, il s’installe dans le quartier Osborne avec sa «blonde», Catherine Graham. «On était tous les deux des militants politiques de gauche, d’extrême gauche même, à faire ça à temps plein. Je suis allé faire de l’agitation propagande à l’usine de Motor Coach où je me suis fait embaucher en falsifiant mon CV, sachant qu’ils ne m’auraient jamais pris s’ils avaient su que j’avais un diplôme universitaire.»

Il devient traducteur durant l’été 1984, la dernière fois que Motor Coach l’a mis à pied. «Pendant l’été, je m’occupais de Liliane qui avait deux ans. Catherine travaillait, j’étais le papa à la maison. À un moment donné, René Fontaine qui était le directeur du Centre culturel où Catherine travaillait, cherchait un traducteur, pas pour le Centre culturel, mais pour son agence de publicité Avantgarde. Alors Catherine a dit, bien Charles, y’écrit un peu, ça l’intéresserait peut-être.»

«J’ai commencé à faire de la traduction comme ça. J’ai aimé ça puis je me suis dit, okay, si j’ai envie de continuer, il va falloir que j’aille me faire former. Heureusement l’École de traduction du Collège universitaire de Saint-Boniface ouvrait ses portes. Je commençais d’être un peu tanné de la job anyway, surtout que l’année d’avant, en 1983, on avait dissout le Parti communiste ouvrier à longueur du pays.»

C’est durant ces congés forcés que celui qui «écrit un peu» sort les poèmes qu’il avait apportés avec lui de Montréal. «J’avais déjà publié, pas ici, mais dans deux revues montréalaises. Puis juste avant de partir, moi et un de mes amis à Montréal on s’était dit, on a écrit des poèmes tous les deux, mais on n’en a pas assez pour faire un livre. On va soumettre ça tous les deux, ensemble, pour faire un livre. On était allés voir Gaston Miron au Carré Saint-Louis, puis on lui a proposé ça.»

La réponse de Gaston Miron, poète et éditeur qui alliait engagement politique et création poétique? «Peut-être que je devrais partir une nouvelle collection de la relève si on peut dire, puis publier des petits recueils qui s’appellent en anglais des chapbooks, de petits recueils, relate Charles Leblanc. Il a publié le recueil de mon chum Louis, mais moi je militais beaucoup à Montréal à ce temps-là, alors j’ai laissé un peu tomber ça et puis quand je suis parti, j’ai pas poursuivi l’aventure.»

«J’ai laissé tomber l’histoire de publier mon livre, mais j’ai gardé les textes avec moi. Puis pendant l’été, entre 1982 et 1984, j’ai regardé tout ce que j’avais écrit depuis 1973, j’ai nettoyé ça et j’ai fait un petit livre, Préviouzes du printemps, science-friction pour notre temps présent, le premier recueil que j’ai publié.»

Comment s’est déroulée sa première incursion manitobaine dans le monde de l’édition? «J’avais déjà eu l’expérience avec Gaston Miron. Le fait d’avoir rencontré Gaston et qu’il m’a dit que c’était assez bon pour un de ses livres, moi, ça m’a mis en confiance. Je me suis dit, je n’ai pas travaillé pendant ces dix années-là à écrire des textes, puis à en jeter les trois quarts, pour jeter tout ça à la poubelle. C’est pour ça que je suis allé aux Éditions du Blé. Roger Léveillé aimait bien ce que j’avais fait, il trouvait que c’était nouveau et ça lui a donné le gout de commencer une nouvelle collection.»

Y a-t-il eu un gros travail d’édition? «Roger me le donnait par écrit. Il avait lu le manuscrit, il avait dit, okay, peut-être tu pourrais couper ça, corriger ça, renforcer ça. Puis des fois, il posait des questions, qu’est-ce que ça veut dire au juste, tu peux pas le dire autrement, peut-être. C’est ce genre de feedback que j’avais. La plupart du temps, il faisait un peu comme Philippe Sollers, c’est-à-dire ne pas trop en donner des conseils, juste d’orienter un peu dans la bonne direction. Ça, j’appréciais ça, parce que ça voulait dire que lui aussi me faisait confiance.»

«Une maison d’édition, c’est un aimant. Ça attire les textes et ça attire les écrivains. Sans le Blé, je me serais senti vraiment tout seul parce que c’est à travers des Éditions du Blé que j’ai connu tout le monde que je connais dans le milieu littéraire. Quand je suis arrivé ici, je vivais du côté anglophone, puis je travaillais du côté anglophone. C’est juste au début des années 1980, après la naissance de Liliane, lorsqu’on s’est installés sur la rue La Vérendrye, à Saint-Boniface, que j’ai commencé à connaître le milieu francophone. Si ce n’avait pas été des Éditions du Blé, je n’aurais peut-être pas connu le milieu littéraire, ça aurait certainement été beaucoup plus long.»

 

Charles Leblanc (photo: Lucien Chaput)

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