On a la chance d’avoir des amis au Blé (version intégrale

En 2024, les Éditions du Blé ont célébré un jalon marquant: 50 ans d’édition et de création littéraire. Pour souligner cet anniversaire, un cahier spécial, 50 ans en évolution, a été publié en septembre 2024 dans La Liberté. Certaines contributions ont dû être écourtées pour s’adapter au format imprimé. Ce texte est présenté ici dans sa version intégrale. Bonne lecture!
Version publiée en septembre 2024
Toujours privilégier de faire travailler des personnes de l’Ouest
La stabilité relative des Éditions du Blé durant ce 21e siècle s’explique en grande partie par la continuité à la direction. Deux femmes ont occupé le poste: Anne Molgat (2004 à 2014) et Emmanuelle Rigaud (2014 à 2022). Situation tout à fait inusitée dans les annales du Blé, la transition à la direction a été planifiée sur une période de douze mois.
Ce qui est intéressant, raconte Emmanuelle Rigaud, «c’est que Anne Molgat était en place quasiment une dizaine d’années à ce moment-là, et il cherchait quelqu’un pour la remplacer. C’était prévu donc, c’était une transition qui était proposée sur plus d’un an. Ce qui est formidable quand même comme situation, ça arrive rarement. Donc, j’ai d’abord été embauchée en 2013 comme adjointe. J’étais vraiment l’ombre de Anne pendant quasiment un an et, en 2014, on a switché. De fait, je suis passée à la direction générale et Anne est restée encore quelques mois pour me soutenir comme adjointe. Ensuite, elle est devenue contractuelle pour le Blé à l’éditorial et moi j’ai pris la relève de la direction générale pendant huit ans.»
Emmanuelle Rigaud
Quels sont les grands défis d’une gestionnaire d’une maison d’édition comme le Blé? Après un petit silence, elle répond: «Ce n’est pas que je n’en trouve pas, c’est que j’en trouve tellement! (rire) Par rapport à mon parcours personnel, il y avait du rattrapage à faire. Je ne connaissais pas le milieu, je connaissais mal la littérature même canadienne, sans parler de l’Ouest. Ça ne passe pas bien les frontières françaises. Donc j’avais un gros rattrapage à faire de ce côté-là, la synergie même de ce milieu, de comprendre, connaître ce dont il s’agit. Anne m’a beaucoup aidée pour ça. D’avoir eu un an de transition, ce n’est pas seulement le côté pratique et logistique, mais surtout la mise en contexte des politiques, de ce que ça représente d’être en l’occurrence un auteur ou une autrice dans l’Ouest canadien. Ça, c’était vraiment précieux. J’ai facilement épousé cette cause, je suis facilement entrée dedans, ça n’a pas été un problème. J’ai rapidement compris ce dont il s’agissait, du moins je pense. Je ne voudrais pas avoir l’air trop présomptueuse.»
Française de naissance, Emmanuelle a fait ses études à Marseille, détenant un master en arts visuels et en cinéma. Travaillant dans ce domaine avant d’arriver au Canada en 2011, elle a été responsable des questions de logistiques des films, des budgets et autres questions administratives. Elle a trouvé sa vocation dans l’administration de la production culturelle. «Ce qui me plait, dit-elle. Je ne suis pas une artiste, ce n’est pas mon fort, ce n’est pas mon rôle dans la vie. Par contre je suis une bonne assistante administrative surtout dans les projets artistiques.»
Sa croissance professionnelle au Blé s’est déroulée en deux grandes phases. «Il y a eu la première phase. Les deux, trois premières années, c’est vraiment l’apprentissage pur et dur de la direction générale d’un petit organisme. La deuxième phase, c’est, bon, ça y est maintenant, j’ai une bonne idée du paysage avec tous les partenaires, tout le monde qui transite autour de la maison, qui nous aide, qui nous appuie également. Idéalement on devrait aller vers ça.»
«Le truc, c’est qu’en plus, avec l’arrivée des nouvelles technologies, l’arrivée du livre numérique, maintenant le livre audio, toutes ces choses-là, c’est comme si on faisait le livre trois fois. Ça prenait beaucoup de temps à le faire une fois, maintenant tu démultiplies. Et puis il y a eu la COVID dans le milieu de tout ça. Je crois que le gros défi, c’est que la maison a toujours les mêmes capacités – les capacités financières ont un peu augmenté, mais je dirais assez similaires à l’inflation –, donc elle a toujours les mêmes capacités. On lui demande beaucoup plus, beaucoup plus, encore beaucoup plus. C’est ça le plus gros défi, et la plus grosse frustration aussi.»
«Seule, on ne peut pas faire le travail aussi bien qu’on voudrait le faire. Anne est toujours restée pour le travail de relecture, de révision linguistique. On a tous ceux qui s’occupent de la mise en pages, de la production du livre numérique.»
«Il y a beaucoup de pigistes qui travaillent au Blé, heureusement. Ce n’est pas officiellement dans les statuts du Blé, mais le Blé privilégie toujours de faire travailler des personnes de l’Ouest. Autant on le fait pour les auteurs, autant on le fait pour les autres artisanes et artisans de la chaine du livre. Même pour faire un ePub, ça a été de privilégier, de former quelqu’un de chez nous pour le faire.»
«Ça reste malgré tout de produire avec des moyens assez faibles dans la mesure où on a la chance d’avoir des amis au Blé, d’avoir des personnes qui travaillent là depuis des années, qui, je pense, souvent nous font des tarifs d’ami. Quand on regarde les normes de l’industrie, on est chanceux.»
Mont Blanc – Winnipeg Express de Seream, Prix littéraire Carol-Shields de la ville de Winnipeg 2022.
Revenir aux textes – Version intégrale


