C’est là que tout a commencé à fermenter (version intégrale)

13 mars 2025
Publication - Texte intégral
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En 2024, les Éditions du Blé ont célébré un jalon marquant: 50 ans d’édition et de création littéraire. Pour souligner cet anniversaire, un cahier spécial, 50 ans en évolution, a été publié en septembre 2024 dans La Liberté. Certaines contributions ont dû être écourtées pour s’adapter au format imprimé. Ce texte est présenté ici dans sa version intégrale. Bonne lecture!

Version publiée en septembre 2024

 

Les fondatrices et fondateurs de la première et de la dernière heure

«À Saint-Boniface, au début des années 1970, tout le monde parlait de publication», souligne Roger Léveillé dans son excellente préface du beau livre Les Éditions du Blé: 25 ans d’édition.[1] «Plusieurs croyaient que l’heure était venue d’établir une maison d’édition francophone. Parmi ces audacieux se trouvaient des historiens et des professeurs, et bien sûr des auteurs qui tournaient entre leurs mains les pages d’un manuscrit prêt à aller sous presse.»

Ayant dépouillées les archives de la maison, il continue son récit de la genèse de la première maison d’édition de langue française à l’ouest de Sudbury en nommant ces audacieuses et ces audacieux de l’édition francophone au Manitoba.

Robert Painchaud, professeur d’histoire, Annette Saint-Pierre, professeure de littérature, Paul Savoie, professeur et poète, et Lionel Dorge, historien, se rencontrent le 17 aout 1974, à Saint-Boniface, dans un petit parloir de la résidence des Sœurs Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe. «Chacun est convaincu de la nécessité de fonder une maison d’édition à Saint-Boniface.»

Le 31 aout 1974, Jean-Paul Aubry, o.m.i., rédacteur de La Liberté, Hubert Balcaen, professeur de français, Émilienne Bohémier, enseignante, Gilbert Comeault, archiviste, Gilles Landry, libraire, Bernard Mulaire, artiste, Nicole Sicotte, journaliste, se joignent aux quatre premiers fondateurs de la première heure. «Suite à un exposé de Robert Painchaud, l’unanimité se fait sur le bienfondé de la chose; mais on se donne une semaine de réflexion.»

Le 7 septembre 1974, le groupe se réunit comme convenu en s’ajoutant Claude Dorge, dramaturge et comédien, Roger Auger, dramaturge et administrateur du Cercle Molière, l’abbé Georges Damphousse, économe du Collège universitaire de Saint-Boniface, Armand LaFlèche, professeur émérite de français, Gilles Landry, libraire. «Les Éditions du Blé sont fondées avec Gilles Landry, président (il sera un des piliers de la maison, servant au conseil d’administration pendant 19 ans), Georges Damphousse, vice-président, Roger Auger, trésorier, Annette Saint-Pierre, secrétaire, et les conseillers Lionel Dorge, Armand LaFlèche, et Paul Savoie

Pour la petite histoire, ajoutons qu’entre la réunion du 17 aout et celle du 31 aout, il y a en eu une autre, moins formelle celle-ci, le 24 aout 1974 à Saint-Pierre Sud. Malgré l’absence de procès-verbal officiel, nous savons de mémoire que Gérard Lagacé, président de la Société historique de Saint-Boniface, Lucile Freynet, bibliothécaire, Armand LaFlèche, Lionel Dorge, Annette Saint-Pierre, Robert Painchaud, Brenda Keyser, étudiante en histoire et future avocate, et Raymond Bérard, agriculteur, ont participé à ce souper champêtre organisé par Réal et Eva Bérard. Une rencontre entre académiciens et membres du grand public qui, ensemble, ont donné vie à une maison d’édition à base communautaire.

Avant la fin de l’année, la liste des audacieuses et des audacieux comptera trente personnes. Trente membres fondatrices et fondateurs de la première et de la dernière heure qui ont versé 100$ chacun à fonds perdu pour devenir membres à vie. Une mise à fonds de 3000$ qui couvre la moitié des frais de production des trois premiers titres lancés le 15 décembre 1974.

[1] J.R. Léveillé, «Préface», Les Éditions du Blé : 25 ans d’édition, Saint-Boniface : Éditions du Blé, 1999.

 


 

Ils ont dit oui à l’invitation de Réal Bérard et de son épouse Eva Navarrete. Conviés à un souper «du temps des cerises», ils se sont rendus au Vieux Chêne, lot 38, Rivière-aux-Rats. La date? Le samedi 24 août 1974. C’est à cette occasion que, pour plusieurs, l’idée de fonder une maison d’édition est née.

Voici ce dont se souvient Réal Bérard: «J’étais membre de la Société historique, pis ben j’allais tout le temps aux réunions des ci et des ça. Et pis il y avait quelque chose qui se brassait dans l’air. Ça parnoillait de peut-être une patente, une maison d’édition ou quelque chose. On est comme des animaux, intuitivement, on soupçonnait des choses… je sais pas, des fois il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer.»

«La seule chose, c’est qu’un jour, j’ai pensé – j’en ai parlé avec la patronne Eva – de patenter une affaire et de faire quelque chose à Saint-Pierre-Sud. J’avais pensé faire une petite fête à la Cabane à la Rivière-aux-Rats. Pis tout a commencé comme ça. Juste faire une fête chez nous parce que c’était tout du monde que je connaissais, de faire une rencontre comme ça, par intuition.»

Le repas, préparé par Eva, comprenait boulettes, tourtières et bines au sucre d’érable, avec galettes de Métis. Pour le dessert, tarte à la ferlouche, accompagnés de fromage, vins canadiens et café. Les invités: Gérard Lagacé, Lucile Freynet, Armand LaFlèche, Lionel Dorge, Annette Saint-Pierre, Robert Painchaud, Brenda Keyser et Raymond Bérard. Étaient également de la fête, Yvette, Madeleine et Renée-Claire, les trois filles d’Eva et Réal. Précision de l’hôte: «Les filles étaient toutes habillées en costumes, tu sais, parce qu’elles étaient les servantes…»

«Là on a fait une fête pis là, ben là, je sais pas, on va regarder dans le livre de Gérard Lagacé – il était chef de la Société historique à l’époque – et pis dans son livre il avait écrit ça: “Très belle réunion de la Société historique à la cabane de Réal Bérard à la Rivière-aux-Rats. C’est ce soir-là qu’a été conçue l’idée de fonder une maison d’édition. Un peu plus tard, la maison fut fondée. On lui donna le nom des Éditions du Blé.”»

Donc, d’après le livre Le passé que j’aime de Gérard Lagacé (p. 78), l’idée de fonder une maison d’édition serait venue de ce souper du temps des cerises? «Oui messier! répond Réal Bérard, parce que c’est là que tout a commencé à fermenter.» Et rappelant une image du curé Jolys, fondateur de Saint-Pierre, voulant que «la farine du diable pouvait virer en son», il ajoute que dans certaines circonstances propices, «une tarte aux cerises peut se transformer en gerbe de blé!»

«C’était une belle réunion. Je n’avais aucune idée. Je ne sais pas pourquoi, tu sais. Parle, parle, jase, jase, toute la soirée on me demande pourquoi. Je n’ai aucune idée… les choses sont arrivées. Peut-être que quelqu’un d’autre aurait pu faire la même chose. Ce sont des choses qui sont arrivées, des choses qui devaient arriver. Il y avait toute sorte d’animaux là, tu sais (rire de bon cœur), tous ensemble, excuse de parler comme ça…»

On se souviendra enfin qu’en ce samedi 24 août 1974, qu’à ce souper du temps des cerises, qui débuta à 17 heures, «il a fait beau, beau, beau, même pas de maringouins!»

Invitation au souper du temps des cerises préparée par Réal Bérard, 23 août 1974.

 

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