Aucune nouvelle poursuite juridique à la Georges Forest n′en a résulté! (version intégrale)

13 mars 2025
Publication - Texte intégral
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En 2024, les Éditions du Blé ont célébré un jalon marquant: 50 ans d’édition et de création littéraire. Pour souligner cet anniversaire, un cahier spécial, 50 ans en évolution, a été publié en septembre 2024 dans La Liberté. Certaines contributions ont dû être écourtées pour s’adapter au format imprimé. Ce texte est présenté ici dans sa version intégrale. Bonne lecture!

Version publiée en septembre 2024

Vers la professionnalisation de l’édition francophone au Manitoba

«Devenir éditrice, ce n’était pas un métier dont on entendait parler bien souvent.»

On est en 1986. Après une douzaine d’années en affaires et la publication de 63 titres, les Éditions du Blé s’apprêtent à changer de cap. «On est rendu au niveau où si on n’avance pas, on recule», avait indiqué Lionel Dorge, le directeur à demi-temps, cité dans un article paru dans La Liberté en octobre 1986.

Employé 20 heures par semaine, Lionel Dorge ne pouvait plus à la fois assurer le travail d’édition et la commercialisation. De plus, la prochaine étape dans l’évolution du Blé se ferait sans lui. L’un des membres fondateurs de la maison, celui qui avait assuré la direction pendant huit des douze premières années, tirait sa révérence.

Son départ coïncide avec la décision du gouvernement du Manitoba de donner une assistance financière aux petites maisons d’édition de la province pour professionnaliser le monde de l’édition. Six maisons manitobaines, dont les Éditions du Blé, participent à l’expérience de trois ans. Dans le cadre de ce programme, le Blé embauche Sylvie Ross, qui devient non seulement la première femme à combler le poste de direction, mais aussi la première personne à le combler à temps plein.

 

Sylvie Ross

Sylvie Ross est venue au Manitoba du Québec en passant par la côte atlantique. «Quand j’étudiais à Terre-Neuve, à l’Université Memorial, j’ai rencontré Roland Lavoie et Francine Marchildon, raconte Sylvie Ross. On était des moniteurs de français, langue seconde. Puis Roland me dit: pourquoi tu ne viens pas au Manitoba, tu aimerais ça… J’ai dit, pourquoi pas. Quand tu voyages et tu étudies, tu rencontres des gens, c’est plus facile d’avoir un aperçu de la vie, de la vraie vie des personnes qui vivent là.»

Diplômée en lettres du Collège universitaire de Saint-Boniface, elle se joint en premier temps à l’équipe du Cercle Molière. «Devenir éditrice, ce n’était pas un métier dont on entendait parler bien souvent. Avant d’être au Blé, j’ai quand même travaillé au Cercle Molière. J’aimais les arts, la littérature, les arts de la scène, les arts visuels. C’était une belle occasion de m’impliquer dans cette francophonie que j’aimais bien. De lire, aussi, d’avoir le temps de lire!»

Durant sa première année au Blé, Sylvie Ross reçoit une formation professionnelle poussée en édition. «On était trois hors Québec qui suivaient les cours de formation avec une gang d’une trentaine du Québec. Il y avait moi, puis Marcel Ouellet des Éditions de l’Acadie (Moncton) et Denise Truax de Prise de parole (Sudbury). Le Conseil des arts du Canada finançait des projets de formation avec l’ANEL, l’Association nationale des éditeurs de livres. J’allais régulièrement à Montréal suivre des ateliers. Il y avait un début de programme de formation.»

«La Banff School of Fine Arts offrait aussi un cours en édition, en publishing, de trois semaines. J’ai suivi ce programme la première année que j’étais au Blé. À Banff, tu faisais un peu de tout. Tu commençais comme stagiaire, tu préparais la maquette de couverture, tu faisais la notation pour comment corriger un texte. C’était assez complet, mais il n’y avait pas le côté administratif, il n’y avait pas de tenue de livres, ou comment remplir une subvention. C’était vraiment dans la production.»

Le développement de l’entreprise n’a malheureusement pas connu le même rythme de croissance. Voici comment on avait présenté la description de tâches de la direction «d’une maison d’édition encore modeste» comme le Blé: «il faut savoir comptabiliser, corriger, emballer, consoler, encourager, dactylographier, typographier, marchander, annoncer, vendre, nettoyer, expliquer et quoi encore!» Trois ans plus tard, rien n’avait changé dans ce mode de fonctionnement.

Précisions de Sylvie Ross: «Quand tu es la seule employée, tu travailles tout le temps. Tu ne pars pas en vacances quelque part espérant que les choses continuent durant ton absence. Ah non! tu reviens, puis les choses se sont tout simplement accumulées. C’est plus compliqué dans ce temps-là.»

«Aussi, il faut que tu travailles avec des conseils d’administration, puis des personnes qui portent différents chapeaux. Parfois, il y a des conseils d’administration qui se mêlent de cuisine. Pourtant quand tu embauches une direction, tu embauches une direction pour s’occuper de la cuisine. Le CA donne la direction, et peut établir le menu, mais de là à dire quoi mettre dans la soupe! Alors des fois tu as des choses à refaire parce que les gens changent d’idées, passent à autres chose.»

«En direction, il faut équilibrer les budgets et rentabiliser certaines choses. J’étais de l’avis qu’il fallait équilibrer le calendrier de publication et les choix. Si tu fais cinq livres qui ne vont pas bien se vendre durant l’année, bien tu n’as pas d’argent l’année prochaine. Ce qui était parfois le cas, alors c’était plutôt difficile.»

Si Sylvie Ross quitte après trois ans la direction des Éditions du Blé, «pour des raisons de salaire» et de stabilité professionnelle – elle était devenue entre temps mère d’un garçon –, ce n’était que partie remise. En l’an 2000, elle devient propriétaire des Éditions des Plaines, l’autre maison d’édition franco-manitobaine, fondée par Annette Saint-Pierre et Georges Damphouse en 1979.

 

Aucune nouvelle poursuite juridique à la Georges Forest n’en a résulté!

«Mon meilleur coup promotionnel au Blé, c’est le carton d’invitation pour L’Article 23: les péripéties législatives et juridiques du fait français au Manitoba, 1870-1986 de Jacqueline Blay. L’invitation était une contravention. Les gens recevaient une contravention par la poste. Plusieurs m’ont appelée au bureau demandant de quoi il s’agissait, pourquoi ils avaient reçu cette contravention!»

Sylvie Ross, première femme directrice des Éditions du Blé (1986-1989)

 

À la une de Entre les lignes, le journal des Éditions du Blé, automne 1986, supplément de La Liberté du 3 octobre 1986.